Josette

1963. Josette a 19 ans. Devant la glace de la cuisine de sa grand-mère, elle se crêpe les cheveux et les bombarde de laque pour faire tenir son chignon « choucroute ». C’est dimanche aujourd’hui et sa bande de copains, ou plutôt la bande à Gérard, va venir la chercher pour aller danser au bar-dancing Le Gin-Fizz. Elle a mis sa plus jolie robe, celle à petits carreaux Vichy noirs et blancs, que sa grand-mère a soigneusement repassée et amidonnée. A ses pieds, elle a troqué ses mocassins de la semaine pour une paire de ballerines « rock-n-roll ». Un soupçon de rouge à lèvres, un grand trait noir le long des cils pour se faire des yeux de biche. Puis elle s’inonde d’eau de Cologne afin de faire disparaître la vague odeur de poisson qui règne dans le baraquement de sa grand-mère. Un dernier regard dans la glace, une moue boudeuse bien travaillée, elle ferait des ravages, c’est sûr, Bardot pouvait bien aller se rhabiller.

L’attente est longue quand on attend les copains. Trépignante d’impatience, elle sort du baraquement pour guetter l’arrivée de la bande. Appuyée sur la barrière du jardinet de devanture, elle s’amuse d’apercevoir les rideaux qui s’écartent aux fenêtres des autres maisons, les regards désapprobateurs, les bouches pincées. Il est vrai qu’elle est la coqueluche des garçons et la honte du quartier. On ne lui pardonne pas son allure de dévergondée, sa taille trop fine, ses jambes trop longues, son maquillage trop voyant. Et surtout, ces garçons de bonne famille qu’elle fréquente. Ceux-là n’ont rien à faire dans les quartiers populaires. Certains voisins l’affublent d’un surnom qu’elle déteste « fille de boche ». Il est vrai qu’avec sa ligne élancée, sa chevelure blond naturel, ses yeux bleus azur et sa mâchoire un peu carrée, on pourrait le croire. Il est d’ailleurs bien possible que sa mère fut tentée par la beauté arryenne et un certain uniforme. Sa mère…allez savoir où elle se trouve. Bref, passons.

Un peu perdue dans ses pensées, elle sursaute soudain en entendant le vrombissement d’un moteur et la musique nasillarde d’un poste à transistors qui crache un air à la mode. Vite, elle bondit et court au milieu de la rue pour aller les rejoindre. Les garçons sont sur leur trente-et-un, veste de costume, pantalon serré, coiffure banane brillantinée. Dans la Triumph Spitfire, ils sont quatre, presque les uns sur les autres. Qu’à cela ne tienne, elle s’assiérait en équilibre sur un genou de l’un et un genou de l’autre !

Le petit bolide démarre en trombe devant les rideaux des fenêtres qui se remettent en place discrètement. Les braves gens peuvent retourner à leurs occupations, la distraction du dimanche est terminée dans le quartier.

Dans le transistor, Les Chats Sauvages chantent « twist à St Tropez ». Josette a regardé sur une carte où se trouvait St Tropez, c’est tellement loin d’ici…mais Gérard a promis de l’y emmener un jour…peut-être. En attendant, elle allait s’enivrer de Gin-Coca et danser.

Demain à 7h, elle retournerait à l’usine et rêverait jusqu’à dimanche prochain.

à coeur ouvert

Mille fois j’ai composé le numéro de ton téléphone, mille fois j’ai voulu te confier mes secrets, mes joies, mes peurs. Mais le grand vide est ma réalité.

Si j’avais su…j’aurais du…je n’aurais pas du…

Ta caresse sur ma joue, tes baisers volés, je les fuyais comme des brûlures et je ressens encore aujourd’hui ma gêne devant ton regard suppliant.

Tu me croyais dure et forte ; je n’étais qu’animal blessé.

Comme je comprends aujourd’hui ton désarroi et ta détresse silencieuse !

Cette pudeur imbécile qui m’empêchait de dire je t’aime n’a pas eu raison de ton amour inconditionnel, cet amour qu’on ne retrouve jamais. Mais tu es partie sans savoir que je t’aimais aussi.

Maman, si tu savais…

Maman, ce mot sacré entre tous, je le hurle en silence.

« on revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné… »

La promesse de l’aube – Romain Gary –