Victor ou la vie derrière lui

07bdbe6f

Je vous ai déjà présenté Victor, certains s’en souviennent peut-être. Mon vieux voisin aujourd’hui disparu, me manque. Il avait le don de me réconcilier avec  le monde…

——————————————————————————————————————–

« Je vais bientôt mourir » m’annonça-t-il en souriant.

Victor ne plaisante jamais, mais cette fois, je crus qu’il dérogeait à la règle. Au vu de son apparence physique plutôt guillerette pour ses 95 ans, l’idée même de sa mort prochaine ne pouvait m’effleurer.

Six ans que nous sommes voisins lui et moi. Avec sa stature militaire, ses costumes prince-de-Galles et ses éternelles chemises blanches, Victor est d’une rare élégance. Chaque fois que nous nous croisons, il a toujours ce geste courtois, ce petit mot un tantinet vieille France, qui me ravissent. Depuis quelques temps, il est vrai que je le vois moins souvent tailler ses rosiers ou prendre sa voiture. Mais il écoute toujours ses airs d’opéra, chaque après-midi.  Un jour je me suis inquiétée de le voir emmené par une ambulance. Mais il était revenu, frais comme un gardon pestant contre ces « sacrés toubibs qui ne voulaient pas le laisser sortir de l’hôpital ». Ah Victor ! Sans doute le plus ancien du quartier et assûrément mon préféré.

« Ma petite fille aura un bébé en Décembre, je ne peux donc lui faire faux bond, ce serait inconvenant de ma part. Mais après je mourrai. Ma vie est derrière moi et je ne veux pas devenir une charge.« 

J’eus beau paraître scandalisée par un tel discours et lui assurer qu’il ne dérangeait personne, que tout le monde serait ravi de lui venir en aide si besoin était, il resta ferme sur sa position.

Au moment où je m’apprêtai à prendre congé en lui souhaitant une bonne journée, je perçus une petite lueur malicieuse dans son regard : « j’attendrai janvier, pour vous présenter mes voeux »…

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

18 réflexions sur “Victor ou la vie derrière lui

  1. Jean-Pierre Tondini 9 janvier 2017 / 15:23

    Ah, cher Victor, aurais-je votre aplomb, votre lucidité et votre tendresse. Très beau moment d’émotion, Martine, merci, et la photo d’illustration est très belle ! JP

    J’aime

  2. edufour78 8 décembre 2016 / 15:00

    Réalité ou fiction ? 😉
    Ca m’a plutôt glacé.
    Peine à croire qu’on puisse prendre ce genre de décision aussi légèrement avec de la malice dans les yeux (apparemment).

    Cela dit, j’ai beaucoup votre style et les histoires courtes comme celle là.
    Merci
    Etienne (from Twitter 😉)

    J’aime

    • M.D. 8 décembre 2016 / 17:17

      Réalité absolument. Victor est très spécial ; il prend tout avec grande philosophie, la vie, la mort…et cette petite étincelle de malice dans les yeux ne le quitte jamais.
      Pour répondre à votre question, oui, Opalie c’est pour la Côte d’Opale.
      Merci de votre visite, Etienne 🙂

      Aimé par 1 personne

  3. André 25 novembre 2016 / 13:29

    Voilà une personne touchante et lumineuse, un vieux monsieur qui inspire le respect…..

    J’aime

  4. emma 18 novembre 2016 / 09:51

    vieille France, jolie expression…évocation d’un monsieur élégant comme ton écriture. Oui, c’est avoir des projets qui donne l’illusion de retarder l’échéance

    J’aime

    • M.D. 18 novembre 2016 / 11:22

      Avoir des projets permet de s’accrocher. Ce vieil ami si élégant m’a littéralement chavirée…

      J’aime

  5. juliette 18 novembre 2016 / 08:39

    un peu comme mon vieux papa qui résiste avec humour à sa santé vacillante, en plaisante, et divertit à la clinique, infirmières , compagnon de chambre, et nous, ses enfants …
    Belle journée Martine 😉

    Aimé par 1 personne

    • M.D. 18 novembre 2016 / 11:24

      Oui Juliette, juste comme ton papa. Et nous faisons semblant de positiver…mais nous savons bien qu’un jour…
      Belle journée à toi 🙂

      J’aime

    • juliette 18 novembre 2016 / 17:07

      je ne positive pas Martine, j’espère sans trop y croire …comme lui …
      et j’aime autant que ton texte le dessin qui l’accompagne , Bees

      Aimé par 1 personne

  6. Maître Renard 18 novembre 2016 / 07:28

    Au plus délicieux parfum de la délicatesse et de la grâce. A rebloguer avec plaisir

    J’aime

    • M.D. 18 novembre 2016 / 07:37

      Si Victor savait ça ! 😉

      J’aime

  7. Mony 17 novembre 2016 / 19:30

    Ce monsieur est un grand sage 🙂

    J’aime

    • M.D. 17 novembre 2016 / 23:08

      Oui Mony, mais sa détermination m’a fait froid dans le dos.

      J’aime

  8. breizhdan 17 novembre 2016 / 19:26

    La délicatesse de ton écriture traduit bien l’élégance de cet homme qui porte si bien ses années avec humour et prévenance. Aussi minime soit-il c’est le projet qui pousse à poursuivre le chemin avec un peu d’espoir. Ce Victor est un bel exemple pour ceux qui trainent douloureusement leur vie derrière eux. Bises Dan

    J’aime

    • M.D. 17 novembre 2016 / 23:12

      D’accord avec toi, on est vivant tant que l’on a un projet, si minime soit-il. Victor n’en a plus apparemment, mais surtout il se voit devenir dépendant et sa fierté ne supporte pas cette perspective. Elégance oui, mais tristesse aussi.
      Bises

      J’aime

  9. almanito 17 novembre 2016 / 18:56

    Délicieux vieux monsieur, dis lui que tu aimerais recueillir ses voeux pour 2018, courtois comme il est il ne te refusera pas cela…

    J’aime

    • M.D. 17 novembre 2016 / 23:13

      C’est une excellente idée, je ne manquerai pas de lui en toucher un mot 😉

      J’aime

Les commentaires sont fermés.