pom pom pom

11_02On l’appelait « pomme », parce-qu’elle ramassait les pommes invendues sur le marché et ne quittait jamais son filet garni de pommes. Des pommes de toutes les couleurs. Des fraîches, des pourries, des cabossées comme elle. En marchant sur les trottoirs, elle croquait ses pommes. Il lui arrivait d’en offrir aux passants, qui généralement refusaient, sauf les enfants. Souvent je me suis demandée ce qu’elle mangeait, à part des pommes.

Ses longs cheveux tressés en une natte brune, son teint mat et ses yeux grands et graves comme des lacs, lui donnaient un air indien. Elle parlait peu, mais un sourire accroché à je ne sais quel doux souvenir, éclairait son visage en permanence. Son abri de fortune, c’était la porte cochère de l’école des beaux-arts. Sans doute parce-que les artistes ne rejettent pas les marginaux. Parfois on lui offrait un coin bien au chaud, au fond de la salle de dessin. Alors elle oubliait de manger ses pommes et observait. Ombres au fusain, pointillés de sanguine, dégradés et glacis, tout l’émerveillait. A l’heure de fermeture de l’école, elle partait sans faire de bruit.

La nuit, enroulée dans un duvet de montagne, elle se positionnait en foetus au creux de la porte cochère. Jamais elle n’acceptait la main tendue, même par temps froid. Personne n’osait la forcer ; on se contentait de lui tenir compagnie quelques minutes. Au petit matin, elle se déroulait, se frottait tout le corps et reprenait son errance.

Un matin d’octobre que je la croisai au marché, je lui offris ma plus belle Granny Smith et lui demandai son nom et d’où elle venait. D’une voix basse et posée , elle me répondit qu’elle avait oublié. Intriguée et émue, je lui proposai d’aller boire un chocolat chaud. Elle hésita un instant, me sourit et en ajustant son baluchon sur l’épaule, elle accepta.

Nous pénétrâmes dans un café du boulevard de l’Espérance. Je commandai deux chocolats, elle ajouta timidement « un chausson aux pommes« . Un tantinet amusée par cette obsession des pommes, je lui demandai ce qu’elle aimait dans la vie, à part ça et quel était son rêve. Elle répondit : »j’aimerais tellement avoir une cuisinière, avec un grand four, pour y cuire des pommes, avec du sucre roux et un soupçon de cannelle« … A mon humble avis, c’était sans issue.

Elle resta quelques instants le regard perdu, d’où coula un ruisseau de mélancolie. « Je possède un trésor, un rêve qui me visite chaque nuit. Je me dirige vers une porte en plein ciel, donnant sur un verger magnifique…Alors chaque jour, j’attends la nuit. »

Je ne sus que lui répondre. Nous nous séparâmes en nous promettant une prochaine rencontre. La semaine suivante, je traversais le marché qui se vidait. Les paysans du coin remballaient leurs invendus. Des fruits et des légumes souillés jonchaient le sol, que de pauvres ères s’empressaient de ramasser. Je la cherchais partout, mais elle avait disparu. Je ne sus jamais laquelle de nous deux était la plus paumée.

Save

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B612 ne répond plus

Le Petit Prince a 80 ans.

Sans doute pour se rappeler à notre bon souvenir, le ciel de France s’est voilé d’une couleur ocre, celle du sable du Sahara. 

A l’occasion de cet anniversaire, j’ai eu envie de republier un petit texte écrit au cours d’une mélancolie, relatant une conversation que j’ai eue avec un certain renard…

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B612 ne répond plus. La connexion a échoué. Les médias s’en emparent, les réseaux sociaux s’enflamment…Le Petit Prince serait-il mort ? Ou bien serait-ce une fake news ? Si seulement…

Sous le baobab, le renard essaye de me rassurer :

Tu sais bien qu’il est étrange et mystérieux, il reviendra j’en suis certain. D’ailleurs, qu’adviendrait-il de la rose ? Et puis, il m’a apprivoisé donc il est responsable de moi !

Mais pourquoi ne répond-il plus ? Est-il conscient de notre inquiétude ? S’en soucie-t-il au moins ?

Il est imprévisible, taquin, et puis…

Et puis quoi ?

Eh bien…je crois qu’il est déçu.

Déçu de quoi ?

Les enfants grandissent trop vite, les adultes se comportent comme des enfants et les enfants se comportent comme des monstres…il ne comprend plus rien !

Mais toi et moi, renard, nous n’y sommes pour rien, nous l’aimons et avons besoin de lui !

Il le sait bien mais il a tant à faire …

Alors, crois-tu que son silence est délibéré ?

Bien sûr, tel que je le connais, il a besoin de solitude car il doit réfléchir longuement. Il cherche une solution…

Une solution à quoi ?

Une solution pour rétablir la connexion !

Pardon ?

Oui, tu dois comprendre. La terre entière est connectée, mais les gens ne se parlent plus. Ou alors ils se disent des choses très désagréables. Ou pire encore, ils se battent et s’entre-tuent. Ce n’est pas sa philosophie. Toi-même, avoue que tu ne sais plus très bien communiquer…

C’est vrai. Mais que faire renard ?

Lire son histoire, le faire lire et le lire encore…

Le renard s’en est allé. La rose courbe la tête. Les étoiles ne brillent plus. Pourtant, loin, très loin d’ici, résonne une petite voix :

 » Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants mais très peu s’en souviennent »

– Antoine de Saint Exupéry –