tendresse et trottinette

Un bobo à barbichette, lunettes en bois et trottinette, circulait sur la voie publique. Il avait une petite gueule bien sympathique mais c’est plus fort que moi, je le maudis de ralentir ma vitesse. C’est vrai, quoi, les boulevards ne sont pas faits pour trottiner !

J’en étais à ce stade de réflexion, quand surgit sur le capot de ma Mini, un goéland unijambiste…Johnathan, mon bel oiseau ! Mais que faisait-il là, en centre-ville, loin des têtes de poisson dont il raffole ?

Occultant le fait qu’il m’ôtait toute visibilité mais devinant mon questionnement, Johnathan battit des ailes furieusement et hurla derrière le pare-brise : « hey, tu sais quoi, les pêcheurs sont en grève, la baraque à frites est fermée et j’ai une faim de loup, tu n’aurais pas un p’tit truc à grignoter ? »

Je m’apprêtai à lui répondre que la seule denrée dont je disposais sur le champ était un bonbon à l’eucalyptus quand je ressentis un petit choc à l’avant, suivi d’un affreux grincement métallique.

Sur sa patte unique, Johnathan perdit un peu l’équilibre et avec le bec, se rattrapa à un essuie-glaces qu’il tordit généreusement.

Et soudain, une avalanche d’insultes me heurta les oreilles. Je coupai le moteur, ouvris la portière…

Brandissant sa trottinette moribonde, le bobo à barbichette et lunettes en bois, avec sa petite gueule bien sympathique, vociférait des horreurs destinées à la terre entière et à moi en particulier.

Toujours accroché à son essuie-glaces, rouge de honte, Johnathan se confondait en excuses. Pour le consoler, je lui offris mon bonbon à l ‘eucalyptus qu’il engloutit d’un trait.

J’aurais voulu tendre la main au bobo à barbichette et lunettes en bois. Mais sa petite gueule bien sympathique avait disparu et fait place à un épouvantail grimaçant de haine.

Alors nous les laissâmes choir, lui et sa trottinette, en fredonnant une vieille chanson…

la clé des dunes

ou le temps qui s’échappe

temps-qui-passe

Le temps presse.

Le temps presse m’indiquent les aiguilles qui s’affolent.

Panique sur Opalie !

J’avais pourtant fermé la porte à clé pour qu’elle ne s’échappe pas mais elle a glissé dessous et s’est volatilisée.

Par tous les Saints du Walk of fame, où est-elle passée ?

« La plage » me chuchote mon intuition.

En courant plus vite que le vent, je la rattraperai !

…du moins je m’en persuadai.

Et me voilà sur le sable mouillé de la dernière pluie, par un petit matin de printemps frileux.

Indifférents à  ma détresse,  le renard philosophe et le goéland unijambiste ont entamé une partie de poker.

A-t-on idée de jouer aux cartes quand le temps vous échappe ?

La mer s’est mise à galoper, le soleil a bousculé la lune et s’est imposé sur l’horizon.

Et moi je reste plantée là, comme une endive, à lui faire de grands signes de la main, espérant un au-revoir, à bientôt, que sais-je…

L’heure d’hiver a pris la clé des dunes.

Elle n’a pas attendu que je lui rende le baiser que je lui avais volé…