Cinq heures du matin, le centre commercial géant de la Côte d’Opale est cerné d’une quinzaine de camions semi-remorques rangés les uns derrière les autres, tous identiques, couleur kaki. Je fais le tour du parking ; comme par magie, la nuit a déposé des avions militaires sur l’asphalte.
« Rafales », « Mirages » et autres « Alpha jet » se dressent, majestueux, dans le petit matin. Une trentaine de soldats court dans tous les sens ; le capitaine Muller (c’est le nom que je lui donnerai ici) hurle ses ordres. A l’intérieur du centre commercial, tout est chamboulé. Les allées sont envahies de métal kaki contrastant bizarrement avec les vitrines des magasins aux couleurs « fun » de cet automne.
Avec mes techniciens, je m’intègre dans l’équipe de soldats et nous obéissons aux ordres du capitaine Muller, qui dirige les opérations de main de maître. C’est très drôle et exaltant. J’ai toujours adoré l’aviation mais je n’aurais jamais imaginé être sous les ordres de l’Armée de l’air l’espace de quelques heures !
Ce soir, nous inaugurons la prestigieuse exposition « Des ailes et des hommes » inédite dans la région et ma foi, j’en suis fière.
Il est midi ; le public afflue, en admiration. Les soldats jouent leur rôle pédagogique, transmettent leur passion à des gamins qui rêvent déjà de gagner le « super lot » du concours organisé par l’armée : un aller-retour à bord d’un « Mirage » jusqu’à la base de Salon-de-Provence.
Satisfaite, je m’octroie le droit de souffler un peu…
Vers quinze heures, le centre commercial est bondé, pari gagné. Je me trouve dans mon bureau, au premier étage, quand soudain, le capitaine Muller frappe à la porte : « excusez-moi, il se passe quelque chose de grave, m’autorisez-vous à allumer la télévision dans votre salle de réunion ? »
Sur l’écran, un film catastrophe….non, ce n’est pas une fiction. Ahuris, paralysés de stupeur, nous regardons les avions qui explosent sur les tours de Manhattan. On dirait un jeu vidéo, nous ne pouvons y croire …
Quelques minutes après, les téléphones sonnent de toutes parts. Le capitaine Muller m’annonce que l’Etat major est sur le pied de guerre, prêt à intervenir. Tous les gradés ne pourront être présents ce soir pour l’inauguration. D’un air mi-grave, mi-ironique, Muller me dit :« nous pouvons être rappelés d’un instant à l’autre ; dans ce cas je serai dans l’obligation de vous laisser mes avions …. »
Comme des automates, nous continuons malgré tout à préparer la réception prévue pour nos illustres invités du soir mais le coeur n’y est pas. Chacun a en tête, les images terrifiantes que la télévision passe en boucle. Un mauvais film ou un cauchemar, on ne sait plus exactement…
Le lendemain matin, 12 Septembre 2001, le monde entier est choqué. Sur le parking du centre commercial, les avions sont toujours à leur place et les soldats toujours présents. Apparemment, rien n’a changé.
Un sentiment étrange m’envahit ; de l’autre côté de l’Atlantique, c’est l’horreur absolue. Ici, la silhouette impressionnante mais rassurante des engins de guerre prend une nouvelle dimension, celle de la peur…
et vous, que faisiez-vous ce jour-là ?
Ce jour là… oh ! mon dieu… oui…. j’étais fatiguée, je regardais vaguement la télé… je ne sais plus trop quoi car je somnolais… je me lève 5 minutes… vais à la salle de bain… au retour ce que je vois sur mon écran me fait dire : » Rhooo ! C’est quoi cette nullité ? Encore un film catastrophe ! Y’en a marre ! » J’allais zapper quand le bandeau d’ALERTE est apparu !! Je suis restée sidérée pendant un très long moment… scotchée à l’écran, debout, sans pouvoir rien faire, ni m’asseoir, ni m’exprimer, ni penser… abasourdie !
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Ce jour-là ? L’amour… Pas la guerre.
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Cette effervescence. Cet échauffement de tous les esprits. Cette absence à notre propre vie…. alors que les enfants, autour, réclamaient notre attention. Un décrochement douloureux mais il fallait retourner à notre réalité et pour moi l’essentiel était de ne pas insuffler la panique dans l’esprit de mes petits élèves. J’ai anesthésié une partie de mon émotivité.
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Bien failli passer à coté de ce beau texte…
Je menais une vie ordinaire, quelle chance!
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Couchée parce que malade je voyais la télé sans la regarder quand soudain j’ai cru aussi voir un film catastrophe mais… Et lorsque j’ai réalisé l’horreur, mon sang s’est glacé… Je suis sortie de mon lit pour aller voir une amie, j’avais besoin de ne pas être seule.
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Question pertinente car nous nous rappelons tous de cette information survenue en pleine journée de travail pour moi, mais le texte qui l’introduit est magnifique.
Outre la catastrophe humaine qui garde toute son horreur après ces années, l’impact médiatique du 11 septembre a été équivalent aux premiers pas d’Armstrong sur la lune.
Bises Dan
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la définition même du mot : sidération…
l’amie au téléphone qui dit « heureusement qu’à cette heure il n’y a personne dans les bureaux…
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Toute création humaine est à l’image de l’homme, pouvant engendrer le meilleur comme le pire. Il est beau ton texte.
J’étais en train de repasser, la télé était ouverte, sans le son. Aux premières images, distraitement entre aperçues, j’ai pensé qu’il s’agissait d’une mauvaise série au scénario improbable. Quand j’ai vu l’image tourner en boucle, j’ai mis le son.
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Toujours d’aussi beaux textes
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J’étais dans mon atelier, ce jour-là.
J’ai soudain entendu des cris de joie.
Je suis sorti.
Et quelques voisins m’ont informé…
C T de B
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La peur, oui….Qui est devenue, presque, banale. Et les « grands » n’ont toujours rien compris et ne font pas grand chose contre cette peur et ce qui la provoque. Preuve, quasi, tous les jours….Bises et bonne journée, Jean-Pierre
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