folle planète

Les loups sont à la porte de Paris. Une colonie de phoques a déserté sa banquise pour s’installer en Opalie…

Un président a rangé son casque de scooter et prend des airs graves pour annoncer la réforme des fiches de paie…pendant que l’Afrique saigne…Dérision…

Les clowns sèment la terreur, pendant que de gentils zombies réclament leurs bonbons d’Halloween… Erreur de casting…

Nous sommes le 31 octobre et les chrysanthèmes font la gueule. J’ai ressorti le pastis et les olives sur la terrasse du jardin, ici, dans mon grand nord….à moins que vous ne préfériez un petit rosé de l’été ?  Il doit m’en rester quelque part, dans un vieux souvenir….Pour un peu, je m’allongerais sur la pelouse pour y brouter l’herbe….

La planète déjante, grave.

Et moi je rêve encore et toujours…. Elle est si loin l’Amérique, si floue la route 66 de mon souvenir….J’aimerais tant savoir s’ils ont enfin réparé the coffee machine au Bagdad Café.

Et puis quoi ?

A chacun son grain de folie….

Heureux les fous qui  vivent  leur rêve.

Heureux les fous qui abattent les montagnes.

Heureux les fous qui bravent les interdits. 

Heureux les fous de vie !

Joseph le fou

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Août 1962. Dans sa chambre de l’asile psychiatrique, Joseph dessine des roses sur du papier à lettres. Il a demandé à son ami Paul d’écrire pour lui une lettre à sa mère. Cette lettre dit ceci :

Chère maman,

Je t’écris cette lettre pour te dire que je vais bien. Aujourd’hui je suis allé à l’atelier de menuiserie et on m’a laissé raboter une planche de sapin. Le chef m’a fait des compliments sur mon travail et le docteur a dit que je pourrais bientôt sortir. Tu vois, maman, je vais travailler à nouveau et te fabriquer un beau buffet de cuisine, avec des roses sculptées. Le docteur a dit aussi que si je prenais bien mes médicaments, je n’aurais plus mal à la tête. Mais je n’aime pas quand il me met de l’électricité sur le crâne, ça fait très mal et c’est pour ça que j’ai mal à la tête. Quand je reviens dans ma chambre , chaque fois je vois des éclairs d’orage et je ne peux pas dormir. Pourtant je suis très fatigué et mes jambes ne veulent plus marcher. Alors tout le monde pense que je dors, mais en réalité c’est juste mon corps qui dort, pas ma tête. S’il-te-plaît, maman, dis au docteur de ne plus me faire de l’électricité. L’autre jour, il paraît que j’étais très énervé alors ils m’ont mis la camisole. Je suis resté toute la journée assis par terre, emprisonné dans cette camisole, et j’avais beau crier que j’avais besoin d’aller aux toilettes, personne n’est jamais venu. Alors j’ai fait pipi dans la camisole ; ils n’étaient pas contents. Le soir, ils m’ont fait une piqûre et m’ont libéré, mais ils ont oublié de me donner à manger. Heureusement, Paul m’avait conservé une pomme. Je m’ennuie beaucoup après toi, maman. Je veux rentrer à la maison. Il y a longtemps que tu n’es pas venue me voir. Je sais bien que la dernière fois je n’ai pas été très gentil avec toi, mais je te jure que je ne te frapperai plus. D’ailleurs, après ta visite, ils m’ont dit que tu ne viendrais plus jamais si j’étais méchant ; j’ai bien compris la leçon. Tu sais, je ne suis pas fou, j’ai juste très mal à la tête et c’est pour ça que je suis énervé quelquefois. Ici, il y a beaucoup de fous. Ils sont différents, ils hurlent pour rien, ils se balancent tout le temps. Moi je ne hurle pas, sauf quand je suis énervé. Et puis je ne me balance jamais ; je tape ma tête contre le mur quand j’ai trop mal, c’est tout, ce n ‘est pas grave. Demain il paraît que j’aurai l’autorisation de retourner à l’atelier. J’aimerais bien scier du bois pour commencer ton buffet, mais ils ne veulent pas me donner une scie. Ils disent que c’est trop dangereux. Pourtant, tu le sais toi, maman, que j’ai l’habitude de scier. Le docteur m’a demandé pourquoi j’avais voulu te tuer avec ma scie. Ce n’est pas vrai, je n’ai jamais fait une chose pareille. Pourquoi lui as-tu raconté ça, maman ? J’ai demandé à Paul d’écrire un poème pour toi. Il a commencé, mais il n’a pas encore terminé. Je te l’offrirai quand tu viendras me chercher pour rentrer à la maison. Hier, j’ai vu beaucoup de monde. Je crois qu’ils étaient tous des docteurs car ils avaient des blouses blanches. Ils sont venus dans ma chambre, m’ont fait une piqûre, et m’ont posé des tas de questions. Je n’ai pas tout compris, je crois que j’ai répondu un peu n’importe quoi. Alors ils se sont fâchés, je me suis énervé et ils ont ligoté mes chevilles et mes poignets sur le lit et m’ont fait une seconde piqûre. Pourquoi ne me laissent-ils pas tranquille, maman ? Dis, quand viendras-tu me chercher ? Quand je pose la question au docteur, il répond toujours « bientôt », mais c’est très long bientôt. Paul me lit ses poèmes et moi je dessine des roses. Paul m’a dit que sa mère allait venir le chercher dimanche prochain. Je vais rester tout seul, avec les fous, si toi tu ne viens pas. Chère maman, répond moi s’il-te-plaît, tu ne réponds jamais à mes lettres. Je vais donner celle-ci au docteur, il la postera pour moi. Ma valise est toujours prête, tu vois je ne suis pas fou, maman.

Ton fils qui t’aime,

Joseph.

A l’aube de ses cinquante ans, Joseph attend toujours que sa maman vienne le chercher à l’asile psychiatrique. Le docteur n’a jamais posté ses lettres.

M.D. 2010